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Olivier Crouzel suit un chemin de traverse, qui en fait à la fois un praticien expérimenté et un artiste presque neuf. Si l’image est son métier depuis longtemps, c’est à l’échelle d’une dizaine d’années surtout qu’il a développé un langage qui se dépouille petit à petit, pour venir au plus près de son medium de prédilection. La photographie demeure le point de passage, comme matériau d’une part, comme support de conservation de traces d’événements éphémères, réalisés souvent hors de vue publique, même s’ils sont produits dans l’espace ouvert, dans le paysage, urbain ou non.
Olivier Crouzel a donc mis au centre de sa pratique la projection vidéo, plus précisément la mise en place d’un dispositif mobile qui lui permet, de manière autonome, de poser des images, souvent des images fixes qu’il a faites ou qu’il a cherchées, avec des configurations paysagères de son choix. Il pratique comme on va à la cueillette, circulant avec son matériel, trouvant un site, un autre, qui le retient comme donnant un contexte de signification à telle ou telle image, qu’il tient prête à l’esprit —et sur son disque dur. Il a pratiqué, à titre de projet personnel ou en collaboration pour des évènements urbains ou des scénographies, la projection spectaculaire, mettant au point des outils logiciels pour animer les images, ou investissant des références liées au contexte.
Sa démarche personnelle actuelle se joue en revanche à l’écart des espaces trop habités. Le principe de la projection, l’événement soudain de l’apparition lumineuse, l’inscription tout à la fois manifeste et forte de l’image fixe mais aussi passagère, soumise à sa prochaine disparition, et bien sûr le choix d’une relation de tension entre l’image et son support, tout conduit à cette dimension de chose mentale, proche de la matière du rêve — ou du cauchemar. Une affaire d’entre-deux : entre deux lumineux, puisque les images photographiques finales sont idéalement prises à cet instant de bascule, entre chien et loup, où lumière du jour déclinant et autorité du flux électrique projecteur sont en équilibre. C’est alors surtout l’équilibre entre univers rapporté et site choisi qui se joue : une façade de magasin de luxe parisien sur une maisonnette abandonnée en bord de mer ou un édicule de bord de route, une vitrine de supermarché érotique sur des séchoirs à maïs, un grand magasin sur une falaise, la série récente, Campagne urbaine entretient un imaginaire sans doute dénonciateur, porté par un régime d’image à l’équilibre troublant, entre artifice et détachement, devant pourtant un monde en attente, crépusculaire, déhumanisé. Si les séries précédentes étaient encore parfois presque bucoliques, les images de la série en cours United Nations portent ce désenchantement : pas même la guerre, non, mais avec le bleu des casques, le blanc des véhicules inscrits en lumière, cette attente d’on ne sait pas quelle menace, dans l’espace familier. Un char, même blanc, sur le parking derrière le collège de Sarlat, devant le cercle de la Pétanque sarladaise ? Nul pathos, ici, mais bien plus : l’image de notre anesthésie. Crouzel nous tient là, entre fantasme et évidence. Il semble travailler tranquillement, mais il travaille à notre intranquillité.
Christophe Domino
Historien et critique d’art
Catalogue du salon de Montrouge 2011
Avril 2011